Contrats de distribution internationaux : sécuriser un marché sans créer d’établissement stable

Distribution internationale : comment sécuriser un marché industriel sans créer d’établissement stable, selon la jurisprudence récente et les conventions fiscales.

FISCALITÉ INTERNATIONALEINTERNATIONALCONTRAT

people walking inside building during daytime
people walking inside building during daytime

Pour une entreprise industrielle exportatrice, se développer à l’international passe souvent par la mise en place d’un réseau de distribution. L’enjeu consiste à sécuriser un marché local tout en évitant la requalification en établissement stable dans l’État cible, requalification qui entraînerait des obligations fiscales locales, une exposition à double imposition, un risque de rehaussement et un contrôle renforcé des flux transfrontaliers.

Les décisions du Conseil d’État, des cours administratives d’appel et des juridictions récentes (y compris en 2025) permettent d’identifier avec précision les critères utilisés par les autorités fiscales pour qualifier un établissement stable et, en miroir, les leviers contractuels permettant de structurer un réseau de distribution conforme et sécurisé.

1. La notion d’établissement stable : une grille d’analyse consolidée par la jurisprudence

1.1. Le rôle déterminant de la signature et de l’engagement juridique (CE, 31 mars 2010, n° 304715)

Le Conseil d’État a rappelé que le commissionnaire qui agit en son propre nom, même s’il vend pour le compte de la société étrangère, n’engage pas personnellement cette dernière (CE, 31 mars 2010, n° 304715).
Il en résulte que la présence d’un distributeur ou commissionnaire en France, en Allemagne, en Pologne, aux États-Unis ou dans tout autre État, ne crée pas d’établissement stable si :

  • la société étrangère n’est jamais directement engagée vis-à-vis du client,

  • le distributeur assume seul la conclusion des contrats et la facturation,

  • aucune clause ne permet de contourner ce fonctionnement en engageant indirectement la société étrangère.

Dans les secteurs industriels, ce point est déterminant : un contrat mal rédigé peut suffire à caractériser une présence taxable.

1.2. Indépendance économique et pouvoir d’engagement (CAA Bordeaux, 15 décembre 2016, n° 14BX02611, CAA Nantes, 9 novembre 2009, n° 07NT01251 ; TA Dijon, 6 février 2024, n° 2200868 et n° 2302309)

Les juridictions administratives convergent sur deux conditions majeures :

  1. L’intermédiaire doit exercer son activité de manière indépendante, tant sur le plan juridique qu’économique.

  2. Il ne doit pas disposer du pouvoir habituel d’engager la société étrangère, même de manière informelle.

Dès lors qu’un distributeur dépend économiquement d’un seul fournisseur, fixe ses prix sous contrôle étroit, ou applique une politique commerciale décidée à l’étranger, ce dernier peut être considéré comme représentant dépendant – et donc comme établissement stable.

1.3. Le critère opérationnel : le lieu où se prennent les décisions commerciales (CE, 11 décembre 2020, n° 420174)

Même en l’absence de signature, une société peut être considérée comme ayant un établissement stable si une entité locale prend, de manière habituelle, les décisions commerciales que la société étrangère se borne à entériner.

Ce point, trop souvent négligé, concerne directement les industriels qui délèguent aux distributeurs :

  • l’analyse des offres,

  • les négociations,

  • les ajustements tarifaires,

  • les engagements de livraison.

La logique économique réelle prime sur la forme contractuelle.

1.4. Clients français ≠ établissement stable (CA Paris, 11 juillet 2025, n° 24/03672)

La cour d’appel de Paris a rappelé que la nationalité des clients est sans effet. Le fait d’avoir des clients français ne crée pas, en soi, d’établissement stable. Encore faut-il que des prestations soient réalisées en France pour le compte du fournisseur étranger.

Cette décision est fondamentale pour les entreprises situées au Canada, au Mexique, en Chine ou en Polynésie qui vendent vers la France : le simple fait d’avoir un marché français n’emporte aucune conséquence fiscale si l’activité opérationnelle reste localisée à l’étranger.

2. Sécuriser un marché sans franchir le seuil de l’établissement stable : approche contractuelle

2.1. Indépendance réelle du distributeur

L’indépendance est un critère fonctionnel. Elle repose sur l’analyse :

  • de l’autonomie de décision,

  • de la capacité à fixer ses prix (ou, à tout le moins, un espace de négociation),

  • de la diversification de clientèle et d’activité,

  • de la structuration économique (locaux, personnel, moyens propres).

Une exclusivité commerciale n’est pas incompatible avec cette indépendance, mais elle doit être équilibrée pour éviter toute assimilation à une relation de subordination.

2.2. Engagement du fabricant : maîtriser le périmètre juridique

Le distributeur doit être le seul contractant vis-à-vis des clients finaux.
Toute intervention directe du fabricant dans la contractualisation locale – signature, validation commerciale, responsabilités directes – accroît le risque de requalification.

Les aspects suivants doivent être strictement encadrés :

  • conditions de garantie produit,

  • responsabilité liée aux défauts,

  • obligations réglementaires sectorielles,

  • assistance technique et post-vente.

L’industriel peut intervenir comme garant ou fournisseur technique, mais jamais comme partie contractuelle directe avec le client final.

2.3. Territoire, lieu d’exécution et absence d’installation fixe

Pour éviter l’établissement stable, il est essentiel de démontrer :

  • que l’activité opérationnelle est exercée hors du territoire (production, logistique, décisions commerciales stratégiques),

  • qu’aucune installation fixe d’affaires n’est mise à disposition du fabricant étranger,

  • que le distributeur opère depuis ses propres moyens, locaux et équipements.

La moindre mise à disposition de bureaux ou de personnel local peut être qualifiée de présence taxable.

3. Distribution internationale et responsabilité produit : articulation avec la fiscalité internationale

Les industriels exportateurs, notamment dans les secteurs machines-outils, équipements spécialisés, électronique, énergie ou aéronautique, doivent concilier :

  1. sécurisation juridique du marché, via le distributeur ;

  2. limitation de leur responsabilité produit, principalement sur le plan civil ;

  3. prévention du risque fiscal d’établissement stable.

Cette articulation impose :

  • une chaîne de responsabilité clairement délimitée,

  • une documentation technique détaillée,

  • une répartition des obligations réglementaires conforme au droit local,

  • une gouvernance contractuelle ne créant pas de représentation directe.

Un contrat de distribution international bien structuré permet donc à la fois de maîtriser la conformité RGPD/IA lorsque des données techniques sont en jeu, d’encadrer la responsabilité produit, et de rester conforme au droit fiscal international.

4. Synthèse

La jurisprudence récente offre un cadre clair : un marché peut être sécurisé sans établissement stable, à condition que le distributeur conserve une autonomie réelle et qu'aucun élément contractuel ou factuel ne permette de considérer qu'il engage la société étrangère.

Le droit international des affaires et la fiscalité internationale convergent sur trois critères :

  1. Qui signe ?

  2. Qui décide réellement ?

  3. Qui assume la responsabilité vis-à-vis du client ?

La réponse doit être : le distributeur.

FAQ – Contrats de distribution et établissement stable

1. La mise en place d’un distributeur exclusif crée-t-elle un établissement stable ?

Non. L’exclusivité n’est pas, en soi, un critère d’établissement stable. Elle doit toutefois être structurée pour ne pas créer une dépendance économique assimilable à une relation de représentation.

2. Le fabricant peut-il fixer les prix de vente locaux ?

Il peut fixer un cadre, mais le distributeur doit conserver une marge de manœuvre. Un contrôle excessif peut révéler une absence d’indépendance.

3. Un support technique fourni depuis l’étranger crée-t-il un établissement stable ?

Non, sauf si ce support implique des activités régulières réalisées sur le territoire ou une installation fixe d’affaires mise à disposition du fabricant.

4. La gestion de la responsabilité produit doit-elle être locale ou centralisée ?

Elle doit être structurée en chaîne : le distributeur gère la relation client, le fabricant intervient dans le cadre d’un contrat B2B distinct. Toute intervention directe auprès du client final augmente le risque fiscal.

5. Une filiale française peut-elle être qualifiée d’établissement stable pour une société étrangère ?

Oui, si elle prend les décisions commerciales engageant la société étrangère, même sans signer les contrats (CE, 11 décembre 2020).

6. Une entreprise étrangère vendant à des clients français via un distributeur doit-elle déclarer son activité en France ?

Non, si les prestations principales sont réalisées à l’étranger, qu’aucune infrastructure n’est mise à disposition et que le distributeur agit en son nom propre.

Si votre entreprise développe ou restructure un réseau de distribution à l’étranger, je peux réaliser un diagnostic complet de votre structuration internationale, incluant :

  • une analyse du risque d’établissement stable,

  • un examen des contrats de distribution,

  • la sécurité juridique des flux transfrontaliers,

  • la conformité en fiscalité internationale.

Ce diagnostic permet d’anticiper les risques fiscaux, de renforcer les contrats existants et de sécuriser une stratégie d’expansion internationale à long terme.

Pour prendre rendez-vous, cliquez ici.