Les États-Unis s'attaquent aux entreprises françaises avec une nouvelle surtaxe
Le projet de réforme budgétaire actuellement débattu au Congrès américain introduit un dispositif fiscal inédit : une surtaxe additionnelle sur les revenus de source américaine perçus par des entités résidentes dans des pays jugés « fiscalement discriminants ». La France est explicitement visée, en raison de sa taxe sur les services numériques et de sa mise en œuvre des règles OCDE sur l’imposition minimale.
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Les législateurs américains préparent une réforme fiscale qui pourrait faire mal aux entreprises françaises. Le projet de budget actuellement débattu au Congrès introduit quelque chose qu'on n'avait jamais vu : une pénalité fiscale supplémentaire sur les revenus américains des entreprises basées dans des pays que l'Amérique considère comme "fiscalement discriminatoires".
Cette mesure vise explicitement la France, en réaction à sa taxe sur les services numériques et à son application des règles OCDE relatives à l'imposition minimale mondiale.
Bien que le texte n'ait pas encore franchi l'étape sénatoriale, le vote de la Chambre des représentants du 22 mai 2025 dessine les contours d'un dispositif à portée extraterritoriale significative. Les dispositions actuellement proposées suggèrent une approche ciblée qui pourrait considérablement impacter les stratégies fiscales des entreprises françaises opérant sur le territoire américain.
Cette évolution législative soulève des questions importantes concernant l'articulation entre les politiques fiscales nationales et les relations commerciales transatlantiques. Les groupes français présents aux États-Unis devront probablement reconsidérer leurs structures opérationnelles et leurs modèles d'optimisation fiscale.
Dans cet article, j'analyse les implications de ce projet de réforme : périmètre d'application, entreprises potentiellement concernées et options stratégiques à envisager pour anticiper ces nouvelles contraintes réglementaires.
L'enjeu dépasse la simple conformité fiscale et interroge les fondements de la planification internationale des entreprises françaises ayant des intérêts économiques substantiels outre-Atlantique.
Une taxe de rétorsion à portée extraterritoriale
La Section 899 du projet de loi établit un mécanisme de sanctions fiscales visant les juridictions ayant adopté des mesures d'imposition considérées comme préjudiciables aux intérêts des entreprises américaines. Ce dispositif instaure une surtaxe progressive qui entrerait en vigueur dès l'exercice 2026, s'appliquant à l'intégralité des revenus de source américaine générés par des entités domiciliées dans les pays désignés.
Le barème de cette surtaxe suivrait une progression automatique : 5 % lors de la première année d'application, puis une majoration annuelle de 5 points de pourcentage jusqu'à atteindre un taux maximal de 20 %. Cette imposition additionnelle viendrait s'additionner aux obligations fiscales existantes - impôt fédéral sur les sociétés, retenues à la source et impositions du pays de résidence - sans mécanisme d'imputation ni de crédit d'impôt compensatoire !
Le champ d'application de cette mesure couvre une assiette particulièrement étendue, englobant tant les revenus patrimoniaux (distributions de dividendes, produits d'intérêts, redevances de propriété intellectuelle, revenus locatifs) que les bénéfices tirés d'activités commerciales ou professionnelles exercées sur le territoire américain (revenus effectivement liés - Effectively Connected Income).
Cette architecture fiscale constitue une rupture substantielle avec les principes traditionnels de non-double imposition et pourrait générer des charges fiscales cumulatives significatives pour les groupes concernés.
Application en cas de détention indirecte : attention aux bénéficiaires finaux
L'un des aspects les plus préoccupants de la Section 899 concerne l'extension de son périmètre d'application aux structures de détention indirecte. À la différence d'autres mécanismes fiscaux américains, cette surtaxe ne se limite pas aux entités directement résidentes dans les juridictions visées.
Le dispositif législatif prévoit expressément que la surtaxe demeure applicable lorsque les revenus de source américaine sont encaissés par une entité établie dans une juridiction non visée, dès lors que le contrôle effectif ou le bénéfice économique final est détenu par une entité résidente d'un pays ciblé.
Les modalités de caractérisation de la détention indirecte demeurent en cours de définition, mais les premières analyses doctrinales et la jurisprudence administrative américaine suggèrent une approche fondée sur les concepts d'economic substance et de beneficial ownership. Cette logique s'accompagne d'un examen renforcé des entités fiscalement transparentes, notamment les LLC qualifiées de partnerships au regard du droit fiscal américain.
Cette extension aux structures indirectes complexifie considérablement l'évaluation des risques pour les groupes multinationaux français.
Répercussions directes sur les LLC détenues par des entités françaises
Les LLC soumises au régime fiscal des partnerships présentent une vulnérabilité particulière face à ce nouveau dispositif. En raison de leur nature fiscalement transparente, l'intégralité des revenus générés sur le territoire américain fait l'objet d'une imputation automatique aux associés proportionnellement à leurs droits sociaux, indépendamment de toute décision de distribution.
Lorsque les associés de ces structures sont des personnes morales de droit français, cette imputation fiscale constituerait le fait générateur de la surtaxe, qui viendrait s'ajouter à la retenue à la source sur les bénéfices prévue par l'article 1446(a) de l'Internal Revenue Code.
La particularité de ce mécanisme réside dans l'absence de condition de versement effectif : le principe de transparence fiscale inhérent aux LLC expose directement les associés français à l'imposition de leur quote-part des résultats américains. Cette exposition à la surtaxe s'active dès la première unité monétaire de bénéfice réalisé, créant un risque fiscal immédiat et automatique.
Cette configuration génère ainsi une double pénalisation : d'une part, l'imposition transparente des bénéfices non distribués selon les règles ordinaires, d'autre part, l'application de la surtaxe additionnelle dès lors que les associés relèvent d'une juridiction ciblée par la Section 899.
Cette problématique concerne potentiellement de nombreuses structures d'investissement françaises ayant opté pour le véhicule LLC en raison de sa flexibilité fiscale et opérationnelle.
Stratégies d'optimisation : cinq axes de restructuration pour minimiser l'exposition
1. Conservation de la LLC transparente avec optimisation des flux intragroupes
Pour les surtaxes initiales modérées (5 % à 10 %), le maintien d'une LLC fiscalement transparente peut demeurer économiquement viable, particulièrement pour les projets en phase d'amorçage ou de développement. L'entité française peut facturer des prestations de services réelles à la LLC américaine (management fees, redevances, services techniques), sous réserve de respecter scrupuleusement les principes de pleine concurrence (prix de transfert). Cette approche permet de limiter l'assiette imposable attribuée à l'associé français de la LLLC, tout en préservant la flexibilité opérationnelle. La mise en œuvre requiert une documentation prix de transfert robuste et une substance économique des prestations facturées.
2. Élection pour l'imposition corporate de la LLC
L'option pour une taxation en tant que C-Corporation (Form 8832) interrompt la transparence fiscale et suspend l'attribution automatique des bénéfices. Cette stratégie permet de différer l'exposition à la surtaxe jusqu'à la distribution effective des dividendes. Néanmoins, elle génère une cascade d'impositions : impôt fédéral américain (21 %), puis retenues à la source et surtaxe lors des distributions. L'arbitrage fiscal nécessite une modélisation précise incluant les coûts de non-distribution (accumulated earnings tax) et les risques de requalification de distributions déguisées.
3. Diversification géographique par multiplication des entités
Une approche alternative consiste à segmenter les activités américaines entre plusieurs entités établies dans différentes juridictions non ciblées, chacune dotée d'une substance économique réelle. Cette diversification permet de répartir les risques tout en optimisant l'exposition globale à la surtaxe.
4. Restructuration par apport-scission vers une juridiction neutre
Les groupes peuvent envisager une réorganisation par apport partiel d'actifs vers une entité nouvellement créée dans une juridiction non visée, assortie d'un transfert effectif de personnel et de fonctions opérationnelles. Cette approche nécessite une analyse approfondie des implications fiscales françaises (régime de faveur des restructurations) et américaines (section 367).
5. Limitation de l'interposition simple dans les juridictions traditionnelles
L'insertion d'une holding intermédiaire dans une juridiction non ciblée devient de plus en plus hasardeuse. Le texte privilégie une approche substance-over-form qui expose les structures dépourvues de réalité économique à une requalification. Une holding luxembourgeoise, irlandaise ou néerlandaise contrôlée par des résidents français sans substance locale (personnel, direction effective, décisions stratégiques) risque d'être considérée comme transparente aux fins d'application de la surtaxe. Cette évolution s'inscrit dans la continuité des obligations de reporting DAC6 et des initiatives BEPS, rendant cette stratégie particulièrement risquée pour les structures purement artificielles.
Ces options doivent être évaluées au regard des spécificités de chaque groupe, en intégrant les coûts de restructuration, les implications sur les conventions fiscales et les risques de conformité.
Un dispositif en cours d'adoption qui nécessite une anticipation immédiate
Le projet de loi voté par la Chambre des représentants demeure soumis à l'examen sénatorial, ouvrant la voie à d'éventuels amendements techniques portant sur les modalités d'application, les seuils d'exemption ou l'échelonnement temporel. Néanmoins, le consensus politique bipartisan autour de cette mesure de rétorsion fiscale et les déclarations récentes de l'administration laissent présager un maintien de l'architecture générale du dispositif, avec une entrée en vigueur programmée pour l'exercice 2026.
Face à cette perspective réglementaire, les groupes français exposés directement ou indirectement au marché américain ne peuvent se permettre d'adopter une posture attentiste. L'ampleur des implications fiscales et la complexité des restructurations envisageables imposent d'engager dès à présent un diagnostic exhaustif des structures existantes.
Cette démarche d'anticipation doit englober plusieurs axes d'analyse : cartographie des entités américaines et de leurs liens capitalistiques, quantification des flux de revenus susceptibles d'être impactés, évaluation des coûts de restructuration versus maintien du statu quo, et modélisation des scenarios fiscaux selon différents taux de surtaxe.
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